enfanceLorsqu’on a été maltraité, on ne sera jamais ce que l’on aurait du être. Une partie de notre être a été mutilée, notre identité s’est morcelée. Cependant nous pouvons en guérir, se libérer de ce cauchemar dans lequel on nous a enfermé. Reprendre petit à petit le territoire qu’on nous a volé…

Ma mère m’a violenté physiquement et moralement, exercé sur moi du chantage affectif, elle a vraiment tout essayé pour que je devienne une ombre. Voici quelques sévices dont j’ai été victime.

Ma mère semblait se réjouir lorsqu’elle me battait avec la laisse du chien. Elle se moquait de moi des rayures rouges sur mes fesses, je me sentais humiliée.

Une autre fois, elle m’a barbouillé frénétiquement avec ma chaussure pleine de crottes de chien sur la bouche car elle était très en colère.

J’avais envie de mourir, de cacher mon corps, je me sentais sale, moche, j’étais souvent apathique, un rien me fatiguait, je n’arrivais pas à retenir mes leçons à l’école, j’étais souvent dans la lune et je passais parfois toute une leçon dans un autre univers. Quand sonnait la fin du cours, je n’avais assisté que par ma présence physique, j’essayais de toutes mes forces à rester présente mais c’était impossible, mon esprit s’évadait immanquablement.

Plus je me persuadais de rester au présent plus je partais dans des contrées lointaines. C’était comme si je m’endormais mais je ne me rappelais pas du tout de ma rêverie.

Ma mère pour m’apprendre à compter m’envoyait à la cave pour chercher un nombre précis  d’oranges. J’avais peur du noir, de la cave, depuis qu’elle m’avait laissée terrifiée et seule dedans pour me calmer. Je contrôlais ma peur et je me répétais le nombre puis un clash se produisait, arrivée en bas, je ne me souvenais plus du tout, je ramenais la crainte au ventre, un nombre d’orange, qui ne correspondait pas bien sûr au nombre indiqué. Elle me traitait d’idiote et je laissais dire sans réagir. Cette mésaventure se répétât jusqu’au jour, fatiguée de me voir ramener n’importe quoi elle cessa de m’envoyer à la cave.

Ce que j’ai vécu ce sont des troubles dissociatifs liés à la violence psychologique que je subissais au quotidien. D’une petite fille  pleine d’entrain, prête à toutes les expériences inimaginables, je suis devenue peureuse, atone, sans envie de vivre. Il m’arrivait de me frapper avec un objet lourd ou de demander que mon frère me maltraite, j’avais des maux de ventre terribles, des otites à répétition, des sinusites. Ma mère m’emmenait souvent chez beaucoup de médecins et ma grand-mère se moquait d’elle. Elle lui disait qu’elle exagérait que je n’étais pas si malade. Voyant qu’elle s’occupait de moi sur ce plan là, je pouvais me provoquer des allergies importantes. Elle devenait plus gentille et cherchait vraiment à me soulager.

Je ne vous raconte pas tout cela par pure victimisation mais pour alerter votre conscience lorsque votre enfant ou un autre donnent des signes de troubles psycho affectifs, des maladies et des maux répétitifs, il y a lieu de s’inquiéter. Si on n’agit pas vite, l’enfant aura des troubles anxieux prononcés, des propensions à se rendre malade comme signalement de son mal-être.

Les jeunes enfants ont un grand besoin de proximité avec leur parent bienveillant, ils construisent ainsi un quota affectif propre à leur âge. Ils exprimeront spontanément leurs émotions sans peur de représailles ou de punitions abusives. Il est certain que le parent doit veiller à poser de bonnes limites pour ne pas rendre leur enfant dans la toute-puissance de leur petite personne. Il comprend vite avec quel parent il peut dépasser les limites. Poser des limites le rassure et l’encourage à l’apprentissage, à la discipline, au goût de l’effort. Mais lui imposer au-delà de son âge risque fort de le décourager, de croire qu’il ne pourra jamais satisfaire personne surtout lui-même, et il sera poussé au perfectionnisme. Ce qui lui sera dommageable sur plusieurs plans :

Premièrement, il se croira plus fort que les autres et recherchera l’élitisme, deuxièmement cela cachera un manque de confiance et d’estime de soi préjudiciable à son équilibre émotionnel et affectif. Il recherchera la reconnaissance soit par une course aux diplôme soit par un travail consciencieusement accompli et zélé aux détriments de ses propres besoins. Il devra prouver qu’il est fort et travailleur. Cette équation interne est fausse : « travail ou diplôme égal personne digne d’être aimée ». Celle-ci l’emprisonne sur un long terme et l’empêche de s’épanouir complètement avec ses proches, de parvenir à un lâcher-prise sur les évènements, d’accéder à des petits plaisirs simples…

Ma mère souhaitait que je sois excellente à l’école, elle me faisait faire exercices sur exercices. Ma grand-mère et elle s’amusaient à m’épier pour savoir si je traînais sans savoir qui faire. Je devais me cacher ou jouer avec mon petit frère. Il m’arrivait de temps en temps à me faire prendre. Elles me donnaient avidement un exercice de math ou une dictée difficile pour mon âge. A l’intérieur de moi, je hurlais de colère mais je ne laissais transparaître rien sur mon visage, de toute façon, qu’aurai-je pu faire ? Elles me laissaient là avec mon devoir impossible  à appliquer. Mon cerveau était vide, transi par la peur d’une future raclée si je ne réussissais pas à faire au moins un petit bout. Elle venait avec sa cuillère de bois et m’assénait sur les cuisses un coup bien sec pour me rappeler qu’elle détenait le pouvoir de la connaissance, que j’étais à côté d’elle impuissante et idiote.

A force d’exercices répétitifs, j’arrivais à résoudre mes problèmes, à améliorer mon orthographe mais aujourd’hui face à un examen, mon corps transpire, mon cœur bat la chamade, mon cerveau se vide, ma mémoire est défaillante, je suis prise comme dans un malaise. C’est pourquoi je n’utilise pas ma mémoire  immédiate mais ma puissance de réflexion pour  intégrer des nouvelles données. Je suis incapable de me souvenir des dates historiques mais je décortique les évènements  et j’essaye d’y mettre une logique, un sens, j’essaye de vivre cette donnée et enfin je l’intègre. C’est par le toucher, la vision que je peux mémoriser et non par l’écoute, c’est pourquoi j’ai tant de difficulté à apprendre une langue étrangère. Les sons sont signes de souffrance, les cris de ma mère, les moqueries de ma grand-mère, j’ai fermé mes oreilles à certains sons. Le téléphone a été longtemps une phobie, je n’arrivais pas à le prendre par peur de cette voix inconnue qui pouvait me dire du mal. Actuellement, physiologiquement je n’ai aucun problème d’audition mais je n’arrive pas à entendre certaines personnes.

Tant qu’on est petit, tous les actes abusifs des parents semblent normaux à nos yeux. On vit l’instant présent, on pleure ou on ravale son chagrin puis l’instant suivant on a oublié, on joue, on rit, on fait les fous. C’est pourquoi il n’est pas facile de reconnaître la maltraitance surtout psychologique. On occulte la partie ombre des parents, on se dit si ils font cela c’est qu’on est méchant ou bête. Je me souviens que j’aimais beaucoup ma mère. Je ne voyais pas du tout qu’elle me détruisait à petit feu. Elle souffrait énormément du dos, des hanches, je voulais prendre sa souffrance en moi pour ne plus la voir souffrir ou l’entendre gémir.

Peu à peu en grandissant, je devenais agressive sans que je le veuille vraiment. Je lui répondais, boudais. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Elle de son côté se durcissait. Il nous arrivait de nous faire la tête pendant quelques jours  mais je revenais vers elle car son silence me glaçait le sang. Elle me montrait souvent des médicaments pour en finir avec ses  jours. Je ne savais pas si en rentrant de l’école, j’allais la voir gisante et sans vie. Cette insécurité ne me permettait pas d’être sereine. Je commençais à lâcher au niveau du plan scolaire. En 4ième , mon niveau scolaire baissa brusquement, même mes professeurs ont commencé  à s’inquiéter. La 3ième, fut une vraie catastrophe, je ne voulais plus aller en classe. Les camarades se moquaient de moi, je n’avais pas beaucoup d’amies. Peu d’entre elles venaient à la maison. Je me sentais très mal dans ma peau. La mort me hantait, je voulais mourir pour voir si tout était fini, on ne souffrait plus. Suite à une étourderie, j’avais perdu la clé de la maison, ma mère se lâcha complètement et m’invectiva de son mieux. Je suis restée  au soleil longtemps puis finalement, je me suis précipitée  sur un tube de Temesta, je l’ai vidé à moitié dans la bouche à moitié par terre car ma mère m’empêcha de tout avaler.

Je sentis mes jambes flageoler et me retrouvai dans mon lit. Le médecin de famille à mon chevet en train de me prendre la tension. Je l’entendis simplement dire à ma mère : « laissez-la dormir et réveilla –la toues les heures. » Il partit la conscience tranquille. Personne ne sut que mon geste était un signe de désespoir sans nom. Ma mère le tourna en dérision et m’acheta mon silence en m’offrant une planche à voile. En moi, je me suis promise que je me vengerai en vivant et que je me battrai pour m’en sortir. En attendant je resterai impuissante, un  jouet  entre les mains d’une mère malade, souffrant d’une pathologie mentale.

Personne n’a osé alerter les services sociaux, on m’a dit par la suite qu’on attendait, on attendait quoi ? Fallait-il une catastrophe visible ? Pourtant dans le mon de invisible était programmé la destruction lente mais certaine.

Il arrive aussi que la personne ne veuille pas dénoncer cette maltraitance par peur du quand dira t-on ou parce qu’elle sait que ce n’est pas encore le moment pour elle, le temps de la liberté. Elle doit elle-même faire la démarche de dépasser ses peurs, se sentir prête à rentrer en conflit ouvert avec son bourreau. Il faut qu’elle ramasse des forces, le peu qui lui reste en elle, pour sortir de la cage, puiser dans ce qui est lui offert de bon pour elle. Et enfin l’oiseau d’un coup d’aile s’élance pour retrouver le chemin de la liberté. Seulement, il se fait de nouveau piéger jusqu’au jour qu’il comprend qu’il recherche inconsciemment le retour vers le passé. C’est la seule chose qu’il connaisse.

Une partie de moi se développait, je commençais à m’affirmer surtout auprès des garçons, les filles me faisaient peur. Je jouais le garçon manqué. Ma mère avait toujours voulu me couper les cheveux courts, alors c’était facile de devenir androgyne, d’autant plus que de nombreuses personnes me prenaient pour un garçon. Une autre partie restait enkystée dans un mélange de petite fille apeurée, dépressive et mélancolique.

Avec les garçons, j’étais leader et j’étais sûre de moi, je voulais qu’ils soient proches, toutefois je ne permettais jamais d’aller trop loin. J’étais très prude. Les actes tels le baiser me dégoutaient, ma mère m’ayant transmis la notion de saleté à tout ce qui était relatif à l’amour. Je me contentais juste de les commander. Mon ami de l’époque a été extrêmement gentil.  C’était la première fois que j’avais des émois amoureux. Je lui tenais fébrilement la main pour ne pas qu’il s’envole. De son côté, son regard sur moi en disait long. Ces moments sont été intenses même si au regard des jeunes d’aujourd’hui je passe pour une ringarde. Ce qui comptait à cette époque, c’est la valeur que j’avais à ses yeux. Sa mère était également très proche de moi. Je me suis sentie aimée par cette famille. Ma mère a réussi de briser ce lien au bout de quatre ans. Elle me répétait sans cesse qu’il n’était pas pour moi, elle critiquait son physique, sa famille. Je me suis laissée de nouveau influencer. J’ai rompu brutalement.

Ce vide a été le début d’un long cauchemar, le début d’une série d’aventures indélébiles. J’ai  rencontré des hommes qui ont trahi ma confiance, qui ont abusé de ma naïveté, de mon innocence, de ma pureté. Je n’ai pas su dire non à leurs exactions scabreuses  et perverses, j’étais conditionnée à plaire et à devenir le bon objet de l’autre. La fausse équation : le sexe égale amour » m’entraînait à accepter le mensonge, l’adultère, le viol, à dire le contraire que ce mon cœur me disait, à faire le contraire de mes valeurs déontologiques. J’étais prise dans une spirale de destruction d’estime de soi. Je n’étais rien, on me l’avait bien dit, je n’étudiais plus, je m’ennuyais, je n’avais plus de sens à ma vie. Et pourtant j’avais une fille. .Même ce bébé m’était volé par ma mère, elle s’appropriait son éducation. Elle décidait et j’exécutais passive. C’était elle qui financièrement m’aidait alors je ne  devais rien dire, juste la « boucler ».

J’attendais que la vie me soit plus favorable, mais plus j’attendais plus je m’enlisais  dans une sorte d’apathie émotionnelle. Seule ma fille, ses mimiques, son intelligence précoce me faisaient réagir. Finalement, je me décidais de trouver du travail. Il fallait travailler pour me rendre autonome. Je trouvai un travail en tant qu’assistante dentaire. Les débuts furent très durs. Mon problème de phobie du téléphone, mon manque de concentration me faisaient paniquer et me rendaient lente à la tâche et j’oubliais certains protocoles. Je me répétais sans cesse les gestes, les  noms des instruments. Le jeudi je me rendais en cours, c’était un moment de plaisir, je voyais enfin des jeunes filles de mon âge. Elles plaisantaient entre elles, elles étaient encore toutes fraîches de candeur alors que j’avais l’impression d’avoir vingt de plus qu’elles. J’étais mère, tout le monde me regardait avec curiosité, je paraissais avoir seize me disaient-elles. Et pourtant si elles avaient su que mon corps était déjà usé et abusé, que mon esprit avait été sali par le mensonge et la velléité de certains hommes.  Je montrais de moi la joie de vivre, une profonde soif de connaissances, mes professeurs ont été touchés par mes capacités à synthétiser les connaissances. J’avais acquis d’une manière incroyable à simplifier sous forme de schémas les protocoles de soins, à les mémoriser et à aider mes camarades de classe de ma promotion. Je redevenais moi-même, une élève brillante mais parallèlement je regrettais de ne pas être sur les  bancs de l’université.

Les abus sexuels  dont j’ai été victime outrageusement avec la complicité active de ma mère, m’ont laissé des séquelles psychosomatiques encore décelables aujourd’hui  même  si les symptômes tentent à diminuer : cystites à répétition, d’anorgasmie, de vaginisme, mal être à me retrouver nue devant un homme, à avoir une relation sexuelle épanouissante. Il faudra encore du chemin avant de guérir complètement mon schéma corporel dégradé et à vivre le plaisir pour ce qu’il est et non pas comme une souffrance.  J’ai été un objet sexuel doublé d’un fantasme masculin pour les femmes asiatiques. J’aurais voulu être autre et non plus l’objet de convoitise des regards masculins. Certains hommes ont des préjugés sur ce type de femme et ils pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, ils se trompent car quand elles se réveillent, elles peuvent être pire qu’une tigresse qui défend ses petits.

Mes études achevées, je rentrais pleinement dans la vie active, le travail était très intéressant et je continuais à apprendre sur le terrain. Mon patron me demanda d’apprendre  à réaliser des appareils orthodontiques. J’allais allier minutie et travail intellectuel. J’étais aux anges. Je partis à Barcelone pour rencontrer le professeur Planas, spécialiste des appareils  à rééducation  fonctionnelle. Je comprenais que la rééducation se faisait sur un ensemble de données et non pas sur un plan purement esthétique. La rééducation de la déglutition et de la respiration nasale est nécessaire pour éviter toute récidive au niveau  du traitement. Je confectionnais donc ces appareils avec grand intérêt. Cette époque m’a révélé mon besoin de connaissance s, de comprendre d’une manière holistique,  ne pas soigner que le symptôme mais aussi le terrain. Par des mauvaises habitudes, par méconnaissance, il nous arrive d’aggraver notre problématique. Reconditionner notre cerveau à des habitudes saines, respectant notre écologie mentale (intelligence émotionnelle renouvelée et purifiée des traumas) nous permettent de sortir de l’impasse de la spirale auto destructrice de soi.

Ce ne sont pas les autres qui nous détruisent, même s’ils y participent en grande partie, c’est nous-mêmes. En refusant de se donner la chance de survivre, de nettoyer les plaies encore douloureuses du passé, de se croire d’être digne de vivre, d’être aimé, on se donne toutes les chances de rester dans son malheur et de le nourrir par la rémanence de nos réactions répétitives négatives. Il est vrai que ce n’est pas facile, plus d’une fois on se décourage car le chemin  blesse notre sensibilité qui a été  sollicitée d’une manière abusive. Plus d’une fois notre personnalité fractionnée en plusieurs parties demeure dans l’ambivalence de mourir ou de vivre. Seule la foi dans l’esthétique, dans la beauté de la nature, dans le mystère de la vie nous ramène sur le chemin de l’espérance  et chante  dans notre cœur le cantique des cantiques, la beauté de l’amour sous toutes ses formes. L’amour de la justice, de la vérité nous affranchissent de nos manquements, de nos peurs ; de nos fantômes, du mensonge insufflé à notre insu.

Je n’ai pas écrit ses lignes pour qu’on s’apitoie sur mon sort mais pour inspirer chez les victimes une espérance sans faille en la vie. Comme une racine peut rentrer malgré le béton et devenir un arbre noueux mais beau dans son esthétisme et sa dignité, la nature nous apprend que la mort est au service de la vie. La vie surpasse tout, dépasse tout et se créé un chemin bien malgré nos faiblesses, nos incapacités. Elle attend simplement notre accord et se met en accord avec notre rythme et notre vouloir. Rien n’est perdu  définitivement, tout se transforme, se reforme pour constituer finalement un puzzle infiniment beau, complexe et riche en détails. Le regard à l’autre change, on accepte de le voir évoluer, se métamorphoser avec le même regard curieux et enfantin devant une coccinelle. On apprend à aimer l’Autre dans sa différence, à relativiser les évènements, à appréhender positivement les circonstances délicates du cours d’eau. Comment un fragile ruisseau devient-il une rivière, un fleuve, une mer ?, c’est en se rassemblant avec d’autres ruisseaux aussi fragiles que lui. C’est en contournant les espaces dangereux pour lui, c’est en suivant sa profonde intuition c’est en aimant en vérité et en justice, qu’il réussit le miracle de la Vie et de l’Amour.

Pour éviter de retomber dans des schémas répétitifs, délétères, notre conscience doit s’ajuster à une vision juste des évènements et à comprendre le mécanisme d’emprise mentale qu’exerce certaines personne sur notre émotionnel. Souvent elles parlent à notre cœur plus qu’à notre partie cognitive. Elles jouent la gamme « je suis ton sauveteur », « je vais te protéger des méchants, tu as besoin de moi ». Elles se rendent indispensables à nos yeux et s’arrangent à nous séduire comme le serpent dans le jardin d’Eden. Elles détournent un peu la vérité pour se mettre en avant et passer pour victime ou « le père ou la mère tout-puissant » Ils savent toucher nos cordes sensibles telles le besoin d’appartenance et de reconnaissance. Etre apprécié par quelqu’un, c’est être reconnu par lui et donc j’appartiens à quelqu’un, je suis donc vivant, relié  et non un électron libre ou le fruit du hasard. Malheureusement, l’illusion est dangereuse et la victime telle la pauvre Eve perd tous ses avantages qu’elles croyaient acquis pour l’éternité. Elle se croit même supérieure mais le  mensonge l’aveugle et elle perd en instant sa liberté de choix.

Voici comment j’ai été piégée. Mr X me parle du Vietnam, de ses actions humanitaires qu’il effectue régulièrement. Il me parle beaucoup de lui, il éveille ma curiosité. Il dit aimer les personnes asiatiques pour leur goût au travail, leur beauté, leur douceur, leur soumission. Je m’identifie avec plaisir à cette description. Il induit qu’il a eu beaucoup de propositions de mariage mais qu’il es a toutes refusées  car il ne voulait pas s’engager. Je suis touchée par le fait qu’il soit avec moi. Il complimente mon éducation donnée à ma fille. Je suis mise en valeur. Je lui raconte mes relations houleuses avec ma mère. Il s’empresse de me conseiller vivement de retirer ma fille et de la confier à une amie à lui. J’accepte. Ma mère en représailles m’intime de payer un loyer à mon frère. Au vue de mon revenu, c’est de l’ordre du chantage financier. Il paye. Les mailles se resserrent, je n’écoute pas ma conviction interne, fuir, ne pas accepter même si cela semble extrêmement gentil de sa part. Puis à peu ; il me parle d’une famille, d’une famille spirituelle. Je ne comprends pas tout de suite. Il me parle de Dieu et de sa bonté. Je suis interpellée au fond moi. Il réussit à me convaincre de venir voir simplement. Toutes les personnes semblent gentils, respectueux, ils le sont mais pas tous, je le découvrirais plus tard. Ils sont habillés un peu comme autrefois, les femmes en jupe longue, les cheveux long set bien coiffés soigneusement. Tout me semble si parfait. Les hommes se tiennent bien et n’embrassent pas les femmes mais les salue avec la main. J’ai l’impression d’être dans « la petite maison de la prairie ». J’avais connu des hommes irrespectueux, ceux-là me semblaient vraiment idylliques. Je commence à partager leur foi, j’aime sincèrement Jésus  et je veux devenir parfaite comme ces gens. Fini les relations tumultueuses et les tourments maternels !  Ma mère voyant me tourner vers ce groupe me prévint du danger mais cette fois-ci je n’allais pas me laisser influencer par elle. Elle me fit choisir entre elle et Mr X. Le jour je repris ma fille, j’ai vu de la méchanceté dans ses yeux, je lui volais SA fille. Je pris peur. Malgré mes interrogations et mes doutes, je pris le parti de faire confiance. Mal m’en a pris, je me retrouvais seule, sans soutien familial, en dépendance financière vis-à-vis de mon sauveteur et intégrer dans une bien étrange communauté. Qui sous ses allures de perfection de valeurs morales enseignaient des assainîtes sur les femmes et leur rôle à jouer pour être jour reconnues comme une personne de valeur. Je gobais tout sans contredire, je ne connaissais pas la Bible et je n’aurais jamais osé contredire leur conducteur spirituel. Nous allions tous les mercredis soir et le dimanche matin. Je sentais malgré tout une envie de connaître Dieu si fortement dans ma poitrine. J’avais tant besoin d’être rassurée sur mes choix, sur l’Amour de Dieu à mon égard. Je me sentais comme cette femme que les gens voulaient lapider. Je sentais le non jugement de Jésus sur moi. Pourtant peu à peu, je découvris avec stupeur combien les gens se critiquaient entre eux, qu’ils venaient finalement par habitude et non poussés par cette envie de s’améliorer. Ma présence avait suscité chez quelques uns un renouveau spirituel qui retomba bien vite lorsque je fus mis aux normes du groupe.

Mr X était très fier de moi, il me félicitait de ma démarche spirituelle. Je venais de gagner une famille, un éventuel mari, et je redécouvrais mon amour envers Jésus-Christ. J’étais comblée. Malheureusement, le conte contient toujours un envers du décor, comme Cendrillon, après les douze coups de minuit, elle perd sa belle robe, son beau prince, son carrosse, le prince se transforma. A chaque supposée erreur, à chaque manquement à mes devoirs, je devais rendre des comptes, me justifier. Il commença à me railler en public, à m’humilier devant ma fille, à critiquer mes méthodes d’éducation. Je passais de la mère exemplaire à une mère laxiste, sans limites. Ma fille à cause de moi deviendrait « une moins que rien », une prostituée.

Je devais arrêter de travailler et élever les enfants. Il ne me donnait rien pour la nourriture et je piochais dans l’héritage de ma mère jusqu’au jour, il n’y eut plus rien. Je vendais les bijoux de famille. Finalement je lui promettais de le mettre au tribunal pour qu’il me verse une somme mensuelle. Il se plia mais il se  vengea en me réduisant l’accès au téléphone ou en me critiquant dans mes dépenses. Ces insinuations devenaient de plus en plus difficiles à entendre, il se plaignait à ses frères, à sa mère, au pasteur. De la chambre, je l’ai entendu dire « c’est une mauvaise mère, une mauvaise épouse, une mauvaise femme au foyer », verdict posé. Pourtant, j’avais fait la décoration de la maison, posé des dalles pour la terrasse. Enceinte je bêchais, je transportais des kilos de terre pour faire des espaliers, je chargeais le bois pour l’hiver, je me promenais avec les enfants en vélo, l’une sur le porte bagage, la petite dernière contre moi dans un grand foulard, et l’aînée à côté de moi. Pour tous les sports, c’était la même chose, j’étais devenue maitre dans l’art de m’adapter à toutes sortes de situations. Une fois grandes, le père s’est décidé à s’en occuper et à partager leurs activités.

La répétition de sa violence verbale me faisait perdre confiance en moi. Je commençais à fuir le quotidien de la réalité dans la suractivité, dans le sommeil, dans le déni, à me persuader que je n’étais bonne à rien. Je délaissais le ménage et dormais presque toute la journée. J’essayais au début de le satisfaire par mille et une attentions mais il ne savait pas remercier, j’avais l’impression qu’il ne s’apercevait même pas des efforts de ma part. Je commençais à souffrir de fatigue chronique, de perte d’appétit ou de boulimie ponctuelle. Je bafouillais, je ne savais plus m’exprimer correctement pour me défendre, je bafouillais prise par un flot d’émotion débordant alors je choisissais de me taire. Sinon il se moquait de mes fautes orales et me traitait comme « une personne qui parlait  comme un petit nègre ». Lorsque j’entendais la voiture, je courais me coucher et je faisais sembler de dormir. Mon cœur sursautait lorsqu’il me regardait durement. J’étais souvent en apnée en sa présence et maladroite dans mes gestes. Les seules fois que l’on riait, c’était quand il me chatouillait. Mais il ne savait pas s’arrêter alors une fois il a eu un œil au beurre noir, lorsque dans un geste maladroit pour le faire cesser, je lui ai donné un coup de genou. Il éprouvait un plaisir malsain à me soumettre à sa force.

Je décidais de ne plus rentrer dans ce jeu quelque peu masochiste. Il ne comprit pas ma décision et me rejeta. Il ne voulait plus de relations intimes non plus.  « Il n’avait pas besoin de cela », je me sentis bafouée dans mon identité de femme. Je n’osais pas aller vers lui, c’est pourquoi je décidais sans son accord  de faire chambre à part. A partir de là, je revis. J’étudiais beaucoup, je m’étais installée un aquarium qui m’apaisait. Je pouvais discuter avec ma fille même si parfois il écoutait à notre porte. Mais mon positionnement ne lui plut pas du tout et il renforça sa velléité contre moi. Je ne savais plus quoi faire. Il ne me restait qu’à partir mais les enseignements spirituels m’interdisaient de divorcer. J’ai cru que Dieu allait le changer si je devenais plus gentille, plus serviable. Dieu resta sourd à mes nombreuses prières !

Je choisis de partir une première fois, puis une deuxième fois, j’espérais qu’il changerait,  qu’il m’aimerait un peu. J’avais peur d’élever les enfants toute seule, j’avais peur qu’il exerce sur eux la même violence verbale, surtout envers ma fille aînée, et surtout je ne savais pas comment j’allais financièrement vivre. Alors je revenais en espérant un miracle. Mais finalement il  commit l’irréparable à mes yeux. Aveuglé par une rage incontrôlée, il me m’étrangla en présence de la plus jeune de mes filles. Elle semblait vouloir me protéger en me serrant sa petite main dans la mienne. Pour ne pas la choquer, je gardais mon sang –froid et fixais mon regard dans ses yeux fous. Il lâcha son emprise et partit brutalement. La petite courut vers ses sœurs et dit « papa  a pincé le cou de maman ». Plus tard, il me traita de folle, qu’il avait seulement posé sa main sur mon épaule. A partir de ce jour là, je savais que je ne serai plus jamais son souffre-douleur.

Il instrumentalisa les enfants en leur racontant des demi-vérités sur mes actes du passé, ils se servaient d’eux pour me faire peur, il ne cessait de me critiquer et de raconter des horreurs sur moi. Il me disait qu’il savait tout sur mes faits et gestes. Je me sentais espionner, toujours sous son emprise malgré la distance géographique. Il maintenait la pression pour que je reste docile à ses demandes. Sa mère se retourna contre moi, et témoigna en ma défaveur alors qu’elle avait été témoin plusieurs fois de la violence verbale de son fils. Ses frères me déconsidèrent et me rejetèrent de la famille, seul mon beau-père eu le courage de conserver son amitié envers moi. Il me téléphonait tous les dimanches pour prendre de mes nouvelles. Dans ces moments, on se sent bien seule, jugée et condamnée par tous. En un seul jour, j’ai perdu un foyer, un toit, une famille spirituelle. En une semaine j’ai retrouvé un job, un toit et un don financier. Lorsque le divorce fut prononcé, je poussais un grand cri de soulagement. Son avocate m’a vraiment traînée dans la boue et son excès de zèle a suscité chez moi du dégoût pour le système judiciaire.

Les enfants, maintenant grandes font la part des choses mais ils ont été pris en otage malgré eux. La petite dernière témoin deux fois de la violence de son père a développé une méfiance excessive envers les adultes. La deuxième faisait des crises de colère extrême, seule la douceur la calmait. L’aînée a cherché à pallier à son manque de sécurité par des amis, à faire de l’anorexie puis de la boulimie, à s’automutiler à l’adolescence, à avoir des comportements à risque. Tous nous avons souffert  et avons eu des séquelles post-traumatiques.

A l’époque, je ne savais pas vers qui me tourner pour m’aider, je me suis débattue avec mes peurs, mes contraintes, mes difficultés. Heureusement des amis ont été présents pour me soutenir quand j’en avais le plus besoin.  Aujourd’hui je souhaite informer, former des professionnels de la santé, créer un réseau d’entraide pour soutenir les victimes de tout type de maltraitances, de faire reconnaître par la justice les abus de pouvoir, de confiance, les abus d’autorité.

Je terminerai ce témoignage par cette définition :

Nous pouvons également considérer certains abus à des actes de torture. Selon la convention des Nations Unies contre la torture adoptée en 1984 et entrée en vigueur en 1987, le terme torture correspond à « tout acte pour lequel une douleur ou des souffrance aiguës physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne au fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce-personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce-personne a commis ou est soupçonnée d‘avoir commis, de l‘intimider ou de faire pression sur elle ou sur une tierce-personne , ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit »

En 1975 : la déclaration de Tokyo de l’association Médicale Mondiale définit la torture « comme les souffrances physiques ou mentales affligées à un certain degré, délibérément, systématiquement ou sans motif apparent par une ou plusieurs personnes agissant de leur propre chef ou sous l’ordre d’une autorité pour obtenir par la force des informations, une confession ou une coopération de la victime, ou pour toute autre raison ». Le but de cet acte est de détruire l’identité, Marcello Vignar, cité par Sironi, définit  «  tout dispositif intentionnel, quelles que soient les méthodes utilisées, qui a pour finalité de détruire les croyances et les convictions de la victime, c’est afin de la dépouiller de la constellation identitaire qui la constitue comme personne. »

Avec bienveillance et douceur

Sabine-Hoa